Extrait du Jardin des Supplices d’Octave Mirbeau :
"As-tu senti?..." fit-elle d'une voix brève et sourde.
- "Je sens l'arôme des pivoines qui emplit le jardin..." répondis-je.
Elle frappa la terre de son pied impatient:
- "Ce n'est pas cela!... Tu n'as pas senti?... Rappelle-toi!..."
Et, ses narines encore plus ouvertes, ses yeux plus brillants, elle dit:
- "Cela sent, comme quand je t'aime!..."
Alors, vivement, elle se pencha sur une plante, un thalictre qui, au bord de l'allée, dressait une longue tige fine, branchue, rigide, d'un violet clair. Chaque rameau axillaire sortait d'une gaine ivoirine en forme de sexe et se terminait par une grappe de toutes petites fleurs, serrées l'une contre l'autre et couvertes de pollen...
- "C'est elle!... c'est elle!... Oh! mon chéri!..."
En effet, une odeur puissante, phosphatée, une odeur de semence humaine montait de cette plante... Clara cueillit la tige, me força à en respirer l'étrange odeur, puis, me barbouillant le visage de pollen:
- "Oh! chéri,... chéri!..." fit-elle... "la belle plante!... Et comme elle me grise!... Comme elle m'affole!... Est-ce curieux qu'il y ait des plantes qui sentent l'amour?... Pourquoi, dis?... Tu ne sais pas?... Eh bien, je le sais, moi... Pourquoi y aurait-il tant de fleurs qui ressemblent à des sexes, si ce n'est pas parce que la nature ne cesse de crier aux êtres vivants par toutes ses formes et par tous ses parfums: 'Aimez-vous!... aimez-vous!... faites comme les fleurs... Il n'y a que l'amour!...' Dis-le aussi qu'il n'y a que l'amour. Oh! dites-le vite, cher petit cochon adoré..."