Parmi les vocables généralement utilisés pour définir la composition musicale existant sur un medium (bande, CD) je préfère celui d’acousmatique. Ce mot est attribué à Pythagore inventeur d’une technique très particulière pour dispenser son enseignement. Placé derrière un rideau, dans le silence et l’obscurité, il était écouté par ses disciples dans la plus totale concentration.
Ne pas voir, pour mieux écouter.
Wagner, dans son projet de construction d’une salle d’opéra à Bayreuth n’a-t-il pas eu la même démarche en cachant l’orchestre aux spectateurs ? Cacher ce qui n’est pas indispensable au drame pour écouter… et, finalement, mieux écouter pour mieux regarder encore !
La conception d’un opéra sur une œuvre aussi particulière que le Jardin des supplices de Mirbeau appelait une démarche différente de celle d’un opéra traditionnel. Cette « monstruosité littéraire » ne pouvait s’accommoder que d’un medium suffisamment souple, adapté à un langage propice à une grande capacité d’évocation. Non destiné à une représentation physique, l’opéra sera donc « virtuel » ; image et musique retravaillées avec l’assistance d’un ordinateur. Les séquences musicales -composées sur papier-, enregistrées par les interprètes associés au projet, puis revisitées numériquement. Détournées, lacérées, amplifiées, gauchies, triturées, mixées, elles défient les limites et deviennent éclats, chocs, feulements, pulsations agogiques. Elles se mesurent à la hardiesse du récit de Mirbeau. Marie-Madeleine Koebele, avec sa tessiture exceptionnelle, incarne une Clara solaire et erratique, initiatrice puis maitresse de cérémonie en perdition. Son grain de voix est gardé dans sa fraîcheur originelle mais il est aussi multiplié presque à l’infini : il devient chœur, et Clara devient toutes les femmes.(...)
Détlef Kieffer