On pourrait ne pas reconnaître à l’informe plus d’importance ou de souci de classification que Bataille ne lui en accorde lui-même. Yve-Alain Bois* souligne la situation topographique de l’informe dans la mise en page de la revue Documents ainsi que sa présence rendue quasiment dérisoire, ou plus emblématique encore (ne s’agit-il pas là d’une application littérale de l’informe ?), parmi des définitions relatives à des mots comme chameau, crachat, crustacés ou cheminées d’usine… D’une façon très concertée et ciblée, Documents bat en brèche les clichés et plus encore les modèles, les hiérarchies, les représentations symboliques données pour acquises.
La citation est devenue célèbre et de ce fait institutionnalisée, instrumentalisée. Reprenons-la tout de même : "Affirmer que l’univers ne ressemble à rien et n’est qu’informe revient à dire que l’univers est quelque chose comme une araignée ou un crachat". Bataille définit par la négative : l’informe sert à déclasser. La définition se veut plutôt métaphore(s) avec une possibilité d’identification réduite à des objets dérisoires, voire même à ce que l’on ne peut pas qualifier d’objet (crachat ou araignée). Mais comme cette notion, de ce qu’elle refuse d’être circonscrite ne peut être que nébuleuse, elle s’avère interprétable, adaptable, ce qui fit sans doute beaucoup pour sa résonance esthétique et créative. Le Flicker** américain des années 1960, dans son schéma de décomposition sensorielle doit aussi beaucoup à Bataille… Mais il mène ou s’imprègne d’une signification qui périclite, d’une narration qui s’autodétruit au profit de la glorification des éléments constituants…. L’aboutissement est logique, et, malgré la novation indéniable de ces artistes, l’informe a perdu son pouvoir de dérèglement… Et qu’en est-il aujourd’hui dans la prolifération des images ? Et l’usage banalisée de la manipulation de ces mêmes images ? Quelle marge obscène et informe reste-t-il à un interprétation multisensorielle, et aussi visuelle, du Jardin des supplices ? (EV)
* Catalogue l'Informe. Mode d'emploi, Centre Georges Pompidou, 1996
** ou cinéma du clignotement. Nous y reviendrons.